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Le jeu-vidéo est-il un art ? un bel art ?

Le jeu-vidéo est-il un art ? un bel art ?

Date : 03/03/2010
Auteur : Zim
Voici un vieil article de moi, écrit le 20 novembre 2007. Je n'aime pas du tout le ton que j'y adopte, et sans doute ne formulerais-je plus certaines idées de la même manière. Je ne crois pas cependant que sa lecture soit tout à fait dénuée d'intérêt.

Le jeu-vidéo est-il un art ? un bel-art ?



La question du jeu-vidéo comme art est vite réglée, puisqu'on peut appeler art toute action humaine dont le but n'est pas d'assouvir les besoins primaires (manger, dormir, aller aux toilettes...). Certains objecteront que manger peut se faire avec art, et je l'accorde, il ne suffit pour cela que de manger en levant le petit doigt. Pour mieux dire, c'est ce levage de petit doigt qui est de l'art, car, sauf exception, il est inutile à l'assouvissement du besoin primaire en question : cette inutilité, ce luxe, témoigne de la capacité de l'homme à esthétiser sa vie. Toutefois, cette capacité révèle toute son ampleur dans un acte qui n'est pas mêlé de primaire : dans un acte purement secondaire.

Le point le plus délicat est de montrer que le jeu-vidéo appartient à la catégorie des beaux-arts, qu'il est un bel-art. Kant, je crois, ou un autre, qu'importe, distingue les beaux-arts des autres arts en ce qu'ils procurent un plaisir esthétique. Attention : n'est pas opposé ici plaisir esthétique et plaisir des sens : le plaisir esthétique est également un plaisir des sens ; mais de certains sens uniquement. Disons que le plaisir esthétique, ce qui nous fait dire de quelque chose « Cela est beau », a pour condition de satisfaire les sens qui mettent à distance leurs objets, à savoir la vue et l'ouïe. Déguster un tiramisu, ce qu'on peut à la limite rattacher à un acte purement secondaire (selon la distinction du paragraphe précédent), puisqu'il s'agit avant tout d'apprécier le goût du gâteau plutôt que de se nourrir, ne nous fera jamais dire « Cela est beau », mais plutôt « Cela est bon » (sans aucune acception axiologique du terme), ou plus vraisemblablement « C'est trop bon, j'adore, allez, je m'en ressers ». Certes, on pourrait trouver un tiramisu beau, mais ce jugement se rapporterait plutôt à son aspect visuel qu'à son goût. Les beaux-arts, donc, appellent les sens de la vue et de l'ouïe, et ce qu'on pourrait nommer les « bons-arts » le goût, le toucher, l'odorat.

Les beaux-arts relèvent tous de l'art de la musique et de l'image. On pourrait distinguer un troisième art encore, celui du discours, écrit ou oral, plus délicat à appréhender. Disons que le discours donne à voir par les yeux de l'esprit (c'est sa capacité à représenter les choses, autrement dit à faire fonctionner notre imagination) [1], et s'entend, réellement s'il est prononcé, ou, s'il est écrit, par les oreilles de l'esprit : on prononce, à mesure qu'on déchiffre, les mots lus dans sa tête.

Trois grands pôles des beaux-arts : image, musique, et discours. Les arts de l'image sont nombreux : dessin, peinture, gravure, sculpture, pantomime, danse, et j'en passe. Les arts de la musique également : car instruments à cordes, à vent, ou percussions sont de natures assez différentes. L'art du discours également, si l'on considère la diversité des langues. De plus, certains médias artistiques peuvent mêler ces pôles dans une même oeuvre : la chanson est composée de musique et de parole, le théâtre d'image (la pantomime) et de parole (le texte prononcé). Certains arts associent les trois pôles, ce sont des arts totaux (oui, c'est un mot laid). L'opéra, par exemple, ou le cinéma. Ou le jeu-vidéo.

Evidemment, si l'on songe à Pong, connu pour avoir été le tout premier jeu-vidéo, le terme d'oeuvre d'art (ne parlons même pas du terme de chef-d'oeuvre) est difficilement applicable : sur l'écran, deux barres blanches se mouvant de haut en bas sur un fond noir, et un tas de pixel représentant une balle renvoyée d'une barre à l'autre. Quelques bruitages pour toute musique, se résumant à des bip ! informes. Quelques textes comme le score marqué en haut de l'écran. Soit le strict minimum pour que deux joueurs puissent se renvoyer la balle virtuelle dans les meilleurs conditions. Autrement dit, son, image et discours n'ont pas de valeur esthétique, mais sont là surtout pour leur utilité, leur nécessité. Certes, une distanciation esthétique est possible, les sens sollicités étant la vue et l'ouïe, mais le jugement qu'on en peut énoncer n'est pas « Cela est beau » ; bien plutôt « Cela est d'une laideur finie, mes yeux comme mes oreilles hurlent d'horreur ».

Une nuance toutefois à mon propos : Pong n'est pas, je pense, un mauvais jeu, c'est un jeu moche. Aussi rudimentaire soit-il, Pong est un jeu tout à fait fonctionnel, et les premières générations de vidéo-joueurs ont pu passer des heures, rivés à l'écran, martyrisant sans se lasser leur interface vidéo-ludique (je veux dire le joystick). Le jeu-vidéo n'est pas essentiellement un bel-art, car c'est surtout un jeu - l'image, et les mots et le son dans une moindre mesure, étant là comme condition de possibilité de ce type de jeu, mais n'étant pas des fins esthétiques en soi - et un jeu relève certes de l'art, mais certainement pas du bel-art. Une oeuvre ludique a pour spécificité, et je développerais en long cette idée dans un prochain article, de faire jouer un rôle au joueur dans le jeu. C'est le joueur qui tient la manette, et qui dirige ce qu'il y a à diriger sur l'écran, cette direction étant tout le sel du jeu. Le joueur est impliqué dans l'oeuvre ludique. Cette implication, pour reprendre une idée que j'ai précédemment développée, signifie l'abolition de la distance entre l'oeuvre et le public, puisque le public est transporté dans le jeu, or nous avons vu qu'une distance réflexive est nécessaire pour prononcer un jugement esthétique. Un joueur ne pensera pas que son maniement du joystick est beau, fut-il un maître émérite en la matière : tout au plus pourra-t-il s'enorgueillir de sa maîtrise technique. Dans le jeu éponyme, accumuler les tetris (effacer quatre lignes d'un coup) en handicap 9 n'est pas beau, mais témoigne d'une maîtrise parfaite du jeu. En résumé, le jeu-vidéo est un art ludique, et l'art ludique n'est pas un bel-art.

Toutefois, les progrès techniques aidant, l'image et le son et le discours ont pu prendre de plus en plus d'importance dans le jeu-vidéo [2], dans le but de rendre l'oeuvre plus agréable à jouer, on a fait progressivement en sorte qu'elle plaise à l'oeil et à l'oreille et à la pensée : l'art ludique s'est mâtiné de bel-art, l'image, le son et le discours se sont émancipés de leur rôle uniquement fonctionnel, et pourraient devenir même des fins en-soi. Je pourrais préciser encore mon idée, évoquer les directions esthétiques empruntées par le jeu-vidéo, etc., citer des titres, donner des exemples mais je n'ai déjà été que trop long, je me fatigue et vous aussi. Retenons seulement que le jeu-vidéo est avant tout un art, ludique, et non un bel-art, mais ses potentialités sont si riches que, progrès technologiques aidant, il a pu se hisser, il est en train de se hisser, au rang de bel-art, en émancipant image, musique et discours du rôle purement fonctionnel qui leur avait été attribué à la naissance de Pong, il y a quelques dizaines d'années.

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Notes :

[1]. Le discours est composé de mots auxquels le lecteur ou auditeur attribue un sens, et ce sens renvoie à des concepts, généraux, mais dont on peut se donner, en esprit, une image particulière. Si on lit le graphème « table », ou qu'on entend le phonème qui lui est associé, ce graphème ou phonème a un sens qui se réfère (éventuellement) à un concept connu du lecteur ou de l'auditeur, concept par définition abstrait, mais qu'on peut également se représenter en esprit : on peut lui attribuer une image, et nous voyons, dans notre tête, une table particulière (ne correspondant pas nécessairement à un référent réel, elle peut être toute d'imagination, et ne correspondre à aucune table perçue dans le réel). Le discours donne donc à voir (et également à sentir, goûter et toucher) en esprit, lorsqu'il éveille en nous l'écho de notre expérience sensorielle.

[2]. Que penser du terme « jeu-vidéo » ? Ne nie-t-il pas, d'une certaine manière, en précisant, mais en précisant si peu la nature de ce type de jeu, ses autres aspects, à savoir, par exemple, musique et discours ? Ne devrait-on pas parler plutôt de « jeu-vidéo-audio-discurro » ? Il me semble que ce serait une mauvaise idée : mieux vaut limiter la désignation à l'essentiel : un jeu-vidéo reste un jeu-vidéo sans son et sans texte, qui ne sont finalement qu'accessoires, tandis qu'un jeu-vidéo sans image est une aberration logique. En limitant l'appellation à l'essentiel, il me semble que loin de limiter le jeu-vidéo, au contraire on laisse le champ ouvert à toutes ses potentialités, qui, n'en doutant pas (preuve éventuellement à l'appui) sont extraordinairement nombreuses".

Trobien ! (1)

Commentaires

thephv1FR

Oui c'est un art mais maintenant savoir si c'est un bel art .... c'est autre chose.
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